Le leadership de Champlain

mercredi 2 septembre 2009 |

J’ai récemment lu un excellent livre sur la vie de Samuel de Champlain, intitulé Champlain’s Dream, par l’historien américain David Hackett Fischer. Ma connaissance de Champlain se limitait à quelques dates fatidiques et à ses exploits les plus connus, tels que la fondation de Québec en 1608. Or, ce qui m’a frappé le plus dans cette lecture c’est son leadership et ses nombreuses réalisations dans les domaines de l’exploration, de la cartographie, de la guerre, de l’ethnographie, de la navigation, de la politique et de l’administration. Je crois que nous pouvons en retirer quelques leçons pour notre époque.

Pendant près de quarante ans, Champlain avait comme but de créer un nouveau monde en Amérique, où les Français et les peuples amérindiens pourraient se côtoyer dans la paix et l’entente mutuelle. Dès sa première exploration du St Laurent et des environs de Tadoussac, Québec et Montréal en 1603, Champlain se démarqua de tous les autres explorateurs et colonisateurs européens par sa curiosité, sa tolérance, son respect des Amérindiens et la qualité de son leadership et de sa gestion. Voici donc quelques-unes des caractéristiques de sa façon de travailler et de diriger.

Prévoyance. Dès qu’il décida de faire la promotion de l’exploration et de la colonisation et chercher lui-même à y participer, Champlain démontra un sens de préparation et un souci du détail qui faisaient défaut à bien d’autres aventuriers de cette époque. Par exemple, avant de s’aventurer outre-mer, il étudia tous les récits et cartes des explorateurs qui l’ont précédé, notamment ceux de Jacques Cartier. Il chercha à isoler les facteurs qui conduisirent aux quelques succès de ces explorateurs, mais surtout à connaître leurs erreurs afin qu’il puisse les éviter à son tour. Cette étude détaillée l’amena notamment à retenir la nécessité de fournir suffisamment de provisions pour permettre à la colonie de survivre aux hivers rudes ainsi que l’importance de maintenir l’autorité au sein de la colonie tout en assurant une justice raisonnée et raisonnable. Il reconnut aussi l’importance de créer des liens durables et respectueux avec le plus grand nombre possible de nations amérindiennes.

Tolérance. Champlain a grandi à l’époque d’effroyables et cruelles guerres de religion en France. Il a peut-être été élevé en protestant, mais a pratiqué le Catholicisme durant toute sa vie adulte. Ces faits l’amenèrent surement à supporter avec vigueur la politique de tolérance à l’égard des protestants que pratiquait son roi, Henri IV de Navarre. Ceci lui permit de s’allier les services des meilleurs hommes (et même de quelques femmes) de la France pour le soutien de son intention d’exploration et de colonisation. Arrivé en Amérique, il avait l’humilité et la curiosité de consulter les peuples indigènes et leurs chefs pour en apprendre le plus possible. Il n’a jamais su apprécier leurs croyances religieuses et leur loi du talion, mais il respectait leur courage, leurs connaissances et leur intégrité. À bien des égards, il trouvait les Amérindiens plus civilisés que les Européens. De leur côté, les Amérindiens portaient le plus grand respect pour Champlain. Même les Iroquois, contre qui il s’est battu à maintes reprises aux côtés des alliés Hurons, Algonquins et Montagnais, le tenaient dans la plus haute estime.

Risque. Si Champlain était très prévoyant et minutieux dans sa préparation et sa planification, il savait quand même prendre des risques calculés et saisir le jour pour avancer son projet. L’expédition punitive qu’il mena contre les Iroquois du Lac Champlain en 1609 illustre bien ce sens du moment opportun. Les nations du St Laurent étaient en guerre constante contre les Iroquois. La situation était telle que toute la vallée du Richelieu était dépeuplée et était devenue un « no man’s land ». Champlain offrit aux chefs des nations du St Laurent d’aller en guerre avec eux contre les Iroquois. Par respect pour leurs traditions, et pour démontrer la puissance de son esprit, il invita 600 guerriers amérindiens à Québec pour un immense festin qui dura six jours, épuisant du coup une partie importante des provisions pour l’hiver. Il prit alors la tête de l’expédition avec deux autres Français et plus de 600 guerriers amérindiens. Rendu à Sorel, à l’embouchure du Richelieu, il n’en restait plus qu’une soixantaine. Champlain n’en démordait pas. Reconnaissant la nécessité de garder sa promesse et de démontrer son courage, il saisit l’occasion et continua avec la force restante jusqu’au Lac Champlain. Ils engagèrent le combat contre la force iroquoise au site de l’éventuel Fort Ticonderoga, dans l’état de New York, et gagnèrent. Une situation semblable se produisit l’année suivante, lors d’une bataille au site actuel de Sorel. Encore une fois, Champlain prit l’occasion pour renforcer ses liens avec les peuples amérindiens alliés malgré les risques pour l’avenir de la colonie. À ces deux occasions, Champlain s’est exposé au danger du combat, mais le jeu en valait la chandelle pour assurer son leadership parmi les Amérindiens et protéger la colonie de Québec des attaques par les Iroquois.

Saine gestion. Champlain n’était pas seulement un bon commandant militaire et un bon navigateur, mais aussi un administrateur hors pair. Il y avait trois principes au cœur de sa méthode de gestion : l’organisation, l’exemple et la justice. Champlain s’engageait personnellement dans la planification et la gestion de la colonie. Il devait aussi s’assurer l’appui de puissants investisseurs en France ainsi que du patronage du roi et de son premier ministre, Richelieu, un homme qui n’appréciait guère les origines communes de Champlain. Malgré des difficultés répétées et de nombreuses disputes commerciales et légales, il a su persister pour assurer la continuité, la survie et la prospérité de l’entreprise colonisatrice. Champlain donnait aussi l’exemple. Il ne s’arrogeait jamais plus de confort et de privilèges que nécessaires à la bonne marche de son entreprise. À un moment de grande privation, il a même réduit sa propre ration pour permettre à des gens plus faibles et en mauvaise santé de survivre. Finalement, il a su appliquer une justice efficace, mais raisonnable pour maintenir la discipline et, surtout, les alliances amérindiennes. Il n’hésita pas à sévir contre des mutins, imposant du coup la peine de mort. Mais à d’autres occasions, il se montra indulgent afin de maintenir des relations pacifiques. Dans les questions visant les Amérindiens, il les a toujours consultés avant d’avancer des solutions acceptables à la fois pour des Européens que pour les peuples indigènes. En bref, il cherchait à convaincre les Amérindiens plutôt que de les dominer.

Champlain avait bien d’autres caractéristiques qui lui ont permis de maintenir son grand dessein pendant près de quarante ans, et ce, malgré les embuches répétées et des déboires légaux et commerciaux. On peut ainsi noter sa grande persistance, sa foi en lui-même et son but, son sens d’humour, ainsi que sa curiosité, tant pour le monde naturel que pour les divers peuples qu’il rencontra durant ces nombreuses expéditions d’exploration et de cartographie.

D’un autre côté, Champlain n’était pas un saint. Comme tout le monde, il avait ses défauts : il pouvait avoir un esprit vengeur, il n’a jamais cherché à comprendre la religion des Amérindiens, il était parfois entêté dans son approche. Ceci étant dit, il est possible d’en apprendre beaucoup sur le leadership et la nécessité de la prévoyance et de la saine gestion en étudiant sa vie et des réalisations.

© 2009 Richard Martin

0 commentaires: